Que tous soient un !
“Ut omnes unum sint”
(Jean XVII, 21) : cette prière de Notre-Seigneur au soir du Jeudi
Saint, on a voulu en faire le fondement scripturaire d’un œcuménisme où la
charité passerait avant l’unité de foi, alors qu’il suffit de lire la suite du
texte de saint Jean pour en comprendre la véritable portée : Jésus prie
d’abord pour ses disciples “afin qu’ils soient sanctifiés dans la vérité”, et ensuite “pour ceux qui, grâce à leur
prédication, croiront en moi”. La foi
est donc bien le critère de l’unité pour laquelle le Christ a prié.
Mettant à son tour en garde contre un faux œcuménisme où certaines
vérités de la foi seraient sacrifiées sur l’autel de l’unité, le pape
Pie XI dans Mortalium animos rappelle cette parole sévère de saint Jean, “l’apôtre de la
charité”, dans sa deuxième épître (II, 10) : “Si quelqu’un vient à vous et n’apporte point cette doctrine, ne le
recevez pas dans votre maison, ne le saluez même pas”. Et le pape
conclut : “C’est pourquoi, puisque
la charité a pour fondement une foi intègre et sincère, c’est l’unité de foi
qui doit être le lien principal unissant les disciples du Christ.”
Mais – et c’est en cela que la prière du Christ prend tout son sens
– même l’unité de foi n’empêche malheureusement pas toujours les dissensions.
On songe au grand schisme d’Occident, mais l’apôtre saint Jean, avancé en âge
et en sainteté, en donnait déjà un exemple dans sa troisième épître (III,
9-10) : “J’aurais peut-être écrit à l’Église, mais celui qui aime à y tenir le
premier rang, Diotrèphe, ne veut pas nous recevoir.” D’après le
contexte, ce Diotrèphe devait être un homme d’Église influent dans la région de
l’Asie où se trouvait le destinataire de l’épître, le “très cher Gaïus”. On apprend avec stupéfaction qu’un homme
d’Église était déjà assez imbu de sa personne pour entrer en contestation avec
un apôtre : “non seulement il ne reçoit pas lui-même nos frères, écrit
saint Jean à Gaïus, mais il empêche ceux qui voudraient les recevoir, et il les chasse de
l’Église.”
Si l’un des apôtres (et même, en l’occurrence, le préféré de
Notre-Seigneur) a subi de son vivant un pareil traitement de la part d’un homme
d’Église, à quoi doivent s’attendre les chrétiens fidèles de notre temps,
privés d’un “pape digne de ce nom” (selon les mots de Mgr Lefebvre) et
par conséquent de tout arbitrage en cas de contestation ? Tant il est vrai
que le serviteur n’est pas plus grand que le maître.
J’y pensais en contemplant la controverse qui agite certains
catholiques fidèles à propos du départ de l’abbé Chazal de la FSSPX. Les
explications données par ce dernier, qu’on a pu lire ici, ont au moins le mérite de la
clarté : il a agi pour obéir à sa conscience, parce qu’il n’avait pas
d’autre choix, et pour des motifs liés à la défense de la foi. D’accord sur ce
point avec la grande majorité des catholiques réfractaires – il suspecte Mgr Fellay
de vouloir envers et contre tout un accord avec la Rome néo-moderniste et, face
à cette dure réalité, il est convaincu qu’il est plus que temps de mettre sur
pied une nouvelle Fraternité exempte de toute compromission avec l’erreur.
Ceux qui s’opposent à son analyse peuvent difficilement exclure qu’à
vues humaines il ait raison, puisque la majorité du Chapitre a pu inventer et
approuver ces six conditions “ bien graves”, comme dit Mgr
Williamson. Mais ils se retranchent entre autres derrière la conviction que la
Sainte Vierge n’abandonnera jamais la FSSPX, notamment en raison des millions
de chapelets récités… en vue d’un accord avec Rome ! Point de vue d’autant
plus contestable que la Sainte Vierge n’a pas accordé une protection du même
ordre à l’Église elle-même, et ce, malgré le succès considérable rencontré par
la dévotion à Notre-Dame de Fatima dans les années cinquante : qu’on se
souvienne en particulier des propos élogieux de Pie XII, surnommé “le pape de Fatima”, ou de l’accueil
réservé un peu partout dans le monde aux “vierges
pèlerines”, y compris de la part de non-chrétiens (et parmi eux de nombreux
musulmans).
Par ailleurs, c’est à l’Église, et non à une œuvre catholique en
particulier, que Notre-Seigneur a assuré que les “portes de l’enfer” ne prévaudraient jamais…!
Un autre argument souvent mis en avant par les adversaires de l’abbé
Chazal est qu’aucun évêque ne le soutient. Mais là encore, qui peut prédire
l’attitude que lui réserverait un Mgr Williamson, quand on voit comment ce
dernier n’a pas hésité à se déplacer au Brésil à la demande des bénédictins, et
manifestement en désaccord avec Menzingen ? De plus, son dernier Commentaire Eleison n°272 : Sarto, Siri est assez éloquent.
N’est-ce pas précisément en considérant des situations semblables
que Notre-Seigneur a prié afin que “tous
soient un” ? Non pas en vue d’une unité d’action, impossible pour le
moment, mais plus modestement en vue d’une réelle unité de foi, d’espérance et
de charité… L’abbé Chazal a répété à
plusieurs reprises qu’il ne condamnait personne. Cet esprit nous plaît.
Damien.